De la grippe espagnole à la grippe aviaire1.
La grippe est une maladie infectieuse, l’une des plus redoutées en ce début de millénaire avec le SIDA. Elle est causée par un virus qui se transmet chez l’homme par voie respiratoire. Les nombreuses modifications de son génome2, qui lui permettent d’échapper au système immunitaire, s’effectuent de manière imprévisible pouvant aboutir à des formes particulièrement graves et très contagieuses. Elle se manifeste le plus souvent sous forme d’une grippe saisonnière banale mais parfois sous forme de pandémies extrêmement meurtrières. L’organisation mondiale de la Santé (OMS) a d’ailleurs annoncé en décembre 2004 l’imminence d’une pandémie grippale pouvant entraîner plus de 120 millions de décès dans le monde. Nous sommes donc en présence d’un envahisseur redoutable pouvant affecter la totalité de notre planète en quelques semaines et provoquer une véritable catastrophe sanitaire. Maladie connue de longue date, les oiseaux sont impliqués dans sa diffusion. Une controverse oppose les virologues et les ornithologues sur le rôle respectif des volailles d’élevage et des oiseaux migrateurs dans la propagation de cette zoonose.
La plupart des maladies infectieuses qui affectent l’homme existent depuis des millénaires ; elles ont d’ailleurs jalonné l’histoire de l’humanité. Une grande partie d’entre elles qui proviennent d’animaux domestiques ou sauvages sont par définition des zoonoses, donc des pathologies d’origine environnementale. Certaines sont d’émergence récente (SIDA et SRAS, ...) mais beaucoup apparaissent ou réapparaissent à la suite de bouleversements des écosystèmes (déforestation, élevage et agriculture intensifs, retenues d’eau artificielles, urbanisation, changement climatique) dont l’homme est le principal responsable. Rares aussi sont les agents infectieux (bactéries, virus, parasites) qui ont définitivement disparu de notre environnement. La variole humaine a été éradiquée de la planète, mais des stocks importants de virus existent, pouvant faire craindre un risque terroriste. Même la peste, qui hante encore l’inconscient humain, n’a pas disparu. Elle sévit encore dans certains pays du sud comme l’Inde et des foyers existent, même aux Etats-unis. Les maladies infectieuses sont responsables de 1% des décès dans les pays développés mais de 43% des décès dans les pays émergents selon l’OMS.
L’agent causal de la grippe est un virus à ARN3 qui fait partie de la famille des Orthomyxoviridae4, genre Influenzavirus. Il peut infecter les porcs, les chevaux, les oiseaux aquatiques et de basse-cour, les mammifères marins, les félidés, les mustélidés et l’homme. La forme humaine typique se caractérise par un début brusque, marqué par une sensation de malaise général, de la fièvre, des maux de tête et des douleurs musculaires. Les complications sont le plus souvent pulmonaires (bronchites, pneumonies) mais peuvent se manifester plus rarement par des encéphalites, méningites, ou myocardites. La grippe saisonnière hivernale provoque en moyenne de 3 000 à 10 000 décès annuels en France. Chaque année, un vaccin est produit pour la combattre, notamment chez les personnes fragiles ou âgées.
Les virus (du latin poison) ne sont pas des êtres vivants, ou plutôt sont à la limite du vivant et de l’inerte. Ils sont de très petite taille, souvent inférieure au dixième de micron et seulement visibles au microscope électronique. Ils ne comportent pas de noyau et ne contiennent qu’une seule sorte d’acide nucléique : ADN5 ou ARN, ce qui les différencie des bactéries. Ils n’ont pas de métabolisme propre et doivent utiliser la machinerie cellulaire de leurs hôtes (bactéries, plantes, insectes, animaux et homme) pour se reproduire. Ce sont donc des parasites absolus. Leur action consiste à envahir les cellules, perturber leur fonctionnement en déréglant leur messagerie génétique à leur profit.
Les virus à ARN (grippe, SIDA, SRAS, dengue, fièvre jaune,...) se différencient des virus à ADN (Herpès, variole, hépatite B,...) par le fait qu’ils ne possèdent pas de mécanisme de relecture de leur génome permettant de corriger la plupart des erreurs de codage au cours de leur cycle de multiplication. Cette caractéristique explique en partie les taux très élevés de mutations ponctuelles (glissement antigénique) des virus à ARN. La variabilité génétique de ces derniers ne s’explique pas seulement par leurs potentialités de mutations, mais aussi par des recombinaisons et des réassortiments génétiques (cassure) entre différentes souches. Cette variabilité génétique favorise l’existence des virus, car elle permet de contourner les défenses immunitaires de l’hôte.
Les pandémies de grippe sont des épidémies qui se répandent dans le monde entier en provoquant des maladies graves en raison du fait qu’un virus nouveau, trouve devant lui une population réceptive (absence d’immunité). On estime que durant chaque siècle deux à trois pandémies de grippe peuvent apparaître, chacune se déroulant parfois en deux ou trois vagues. Les trois pandémies grippales du XXème siècle (1918-1919, 1957 et 1968) ont été causées par des virus recombinants d’origine aviaire.
La grippe est due à plusieurs types de virus (A, B et C) et à de nombreux sous-types correspondant aux variations des protéines de surface : les hémagglutinines (H1 à H16)6 et les neuraminidases (N1 à N9)7. Ce sont les virus de type A qui sont responsables des infections les plus sévères. La pandémie de 1918-1919, dite grippe espagnole de sous-type A(H1N1) aurait décimé de 1 à 2% de la population mondiale (20 à 40 millions de morts suivant les sources mais certains historiens avancent le nombre de 100 millions). Deux autres pandémies moins sévères que celle de 1918-1919 sont survenues au XXème siècle. L’une dite grippe asiatique et de sous-type A(H2N2) a pris naissance en Chine en 1957 ; l’autre dite grippe de Hong Kong, de sous-type A(H3N2), qui est survenue en 1968 alors que l’on pouvait combattre les complications, notamment pulmonaires, grâce à un arsenal d’antibiotiques efficaces, a causé plus de 18 000 décès en France. La grippe espagnole a marqué les esprits par sa soudaineté, la rapidité de diffusion du virus et la crainte d’une nouvelle pandémie virale de même intensité qui pourrait résulter de l’émergence d’un virus nouveau.
Le contexte écologique actuel est très différent de celui de 1918 : démographie mondiale (moins de deux milliards d’êtres humains en 1918 et plus de six et demi actuellement) et forte proportion de personnes vivant en milieu urbain (plus d’un humain sur deux se presse maintenant dans une ville). Les agglomérations de plus d’un million d’habitants étaient peu nombreuses au début du XXème siècle (16 en 1900 contre 408 en 2003). Les transports aériens n’existaient pratiquement pas à cette époque ; les migrations de populations vers des lieux de pèlerinages, de culture, de vacances ou de loisirs (stations balnéaires, festivals divers où la promiscuité est de règle) étaient alors nettement moins massives que maintenant en raison de l’insuffisance des moyens de transport).
Les virus A et B de la grippe possèdent un génome comportant huit segments d’ARN. Lorsque deux virus grippaux différents infectent un même hôte susceptible de les héberger (porc, oiseau ou homme), il peut se produire un mélange des différents segments au cours du cycle de réplication de la particule virale (ou virion). La résultante de ce mélange possèdera, elle aussi, un génome segmenté mais avec huit fragments en provenance des deux virus présents chez l’hôte. Par ce mécanisme de co-infection et de réassortiment, un virus totalement nouveau pour le système immunitaire, peut faire son apparition dans l’environnement.
La transmission d’homme à homme du virus s’effectue principalement par voie respiratoire sous la forme d’un aérosol contaminé produit par la toux ou les éternuements. Il n’en est pas de même chez les oiseaux ; le virus se développe non seulement dans l’appareil respiratoire mais aussi dans leur tractus digestif. La dissémination de la maladie aviaire est alors assurée par les sécrétions nasales et les fientes qui contaminent les plumes ainsi que les litières.
Les véritables réservoirs du virus de la grippe sont les oiseaux aquatiques migrateurs parmi lesquels les oies et les canards sauvages qui peuvent être porteurs sains. Le scénario d’émergence d’une pandémie grippale d’origine aviaire faisant du porc un véritable carrefour épidémiologique est le suivant : les déjections contaminées des oiseaux aquatiques sauvages souillent les aliments des canards ou autres oiseaux d’élevage dont les fientes infectent les porcs qui sont réceptifs aux virus grippaux à la fois humains et aviaires. Chez le porc peuvent s’opérer les modifications du génome viral par un processus de réassortiment entre virus humains et aviaires rendant possible transmission de la maladie d’homme à homme. L’émergence d’une épidémie de grippe est favorisée lorsqu’il y a, par exemple, promiscuité entre les porcs et les oiseaux d’élevage avec une densité humaine élevée. Cette condition est remplie en Asie où existent des élevages souvent juxtaposés combinant les deux espèces. Les conditions d’élevage en Bretagne et aux Pays-Bas où les productions industrielles de volailles et de porcs sont concentrées sur des territoires restreints pourraient aussi favoriser, certes à un degré bien moindre qu’en Asie, l’apparition de nouvelles épidémies de grippe. Depuis que les volailles peuvent transmettre directement le virus H5N1 à l’homme, phénomène qui a été observé pour la première fois à Hong Kong en 1997, ce dernier devient un acteur possible, peut-être même le principal, de l’ « humanisation » d’un virus aviaire et de l’émergence d’une pandémie.
L’infection d’une espèce (homme ou animal) nécessite la fixation du virus grippal, par l’intermédiaire de son hémagglutinine, sur des récepteurs spécifiques (glucides complexes) situés à la surface des cellules de l’appareil respiratoire. Les récepteurs aviaires sont différents des récepteurs humains, ce qui explique le fait que la grippe des oiseaux d’élevage n’est pas habituellement transmissible à l’homme. L’« humanisation » du virus aviaire peut s’opérer grâce aux nombreuses possibilités de mutations qui aboutissent à la modification de la structure de ses protéines, en particulier de l’hémagglutinine.
De nombreux virus sont responsables des différentes épizooties (épidémies animales) de grippe aviaire particulièrement dévastatrices apparues dans un passé récent. En 1993-96, les élevages mexicains ont été durement touchés par un virus répondant au sous-type A(H5N2) ; en 1999-2002, ce fut au tour de l’Italie de se trouver confrontée à des agents dont les formules antigéniques étaient A(H7N1) et A(H7N3). Pour clore cette liste très incomplète, nous citerons le cas des Pays-Bas qui, en 2003, ont vu leurs élevages de volailles décimés par le virus A(H7N7). La contamination de ces volailles résultait de la transmission de virus faiblement pathogènes transportés par des oiseaux sauvages. Les virus qui contaminaient les espèces domestiques ont ensuite évolué vers des formes particulièrement agressives provoquant de véritables hécatombes. Décrite pour la première fois en 1878 en Italie chez des poulets, la grippe, n’est pas une pathologie émergente et l’épizootie actuelle due au virus A(H5N1) reste encore une maladie animale difficilement transmissible à l’homme.
Le virus A(H5N1), qui a émergé en 1996, aurait évolué progressivement vers une forme pathogène même pour certains oiseaux aquatiques sauvages qui étaient auparavant réputés insensibles aux virus de la grippe. La virulence extrême du virus A(H5N1) s’explique en partie par la modification du site de clivage (coupure) de son hémagglutinine. Pour être active, cette protéine de surface doit être clivée en deux fragments protidiques sous l’action d’enzymes présentes dans l’appareil respiratoire. L’insertion d’acides aminés basiques comme la lysine et l’arginine sur le site de clivage de l’hémagglutinine rend le virus apte à infecter, outre l’appareil respiratoire, de nombreux autres organes. Les conditions pour que se produise une infection virale généralisée chez les oiseaux sont alors réalisées. Autre découverte : la présence du gène codant pour une autre protéine du virus A(H5N1) de la grippe aviaire et nommée NS1 pourrait aussi expliquer la pathogénicité du virus actuel. Cette protéine bloque l’action de l’interféron que produit l’organisme humain pour se défendre contre l’infection virale. Cette particularité du A(H5N1), aurait été mise en évidence dans le A(H1N1) de la grippe espagnole de 1918-19.
La situation au 12 mai 2006 peut se caractériser par le fait que l’on est en présence d’une situation enzootique8 inédite pour les oiseaux domestiques et sauvages dont le virus A(H5N1) est le responsable dans de nombreux pays, surtout en Asie. Malgré toutes les mesures qui ont été prises (plus de 150 millions de volailles détruites), la propagation de l’épizootie n’a pu être enrayée. A cette date, des oiseaux sauvages ou d’élevage auraient été victimes du virus dans 54 pays, dont certains sur le continent africain. Quelques cas limités de transmission d’oiseaux vers l’homme ont aussi été être observés, mais aucune transmission interhumaine faisant craindre l’émergence rapide d’une pandémie n’a été documentée. Cela ne signifie nullement que le risque n’existe pas à partir du virus A(H5N1) adapté à l’homme ou de tout autre agent grippal « humanisé » encore inconnu produit chez la porc ou chez l’homme. Selon l’OMS, le nombre de cas humains de grippe A(H5N1) confirmés biologiquement de janvier 2004 au 11 mai 2006 s’élèverait à 208. Ils auraient entraîné 115 décès ; depuis le début de l’année 2006, 63 cas et 39 décès ont été dénombrés. Le niveau d’alerte pandémique se situe actuellement à la phase 3 sur les six que comporte le plan de l’OMS.
En France, la contamination d’un élevage de dindes à Versailleux (Ain), confirmée le 24 février 2006, n’a pas eu de conséquence sur l’élevage avicole français en raison d’une gestion rigoureuse de la crise. Bien évidemment, il est strictement interdit d’importer vers notre pays des volailles ou des produits dérivés (œufs et plumes) en provenance de pays où une contamination a été observée. La consommation d’animaux ou d’oeufs mis à la disposition des consommateurs français ne présente donc pas de risque sanitaire, d’autant plus que la cuisson à cœur de la volaille détruit le virus grippal.
Le rôle prédominant des oiseaux migrateurs dans la propagation du virus A(H5N1) de la grippe aviaire est sérieusement remis en cause par les ornithologues et naturalistes. Pour ces derniers, la faune sauvage s’infecterait occasionnellement au contact des volailles domestiques et sa contribution ne serait que marginale dans la diffusion de la maladie. Ils mettent plus en cause les élevages industriels ainsi que le commerce et le transport des volailles vivantes y compris les « poussins d’un jour » destinés aux grandes installations où les animaux sont confinés. Leurs arguments ne manquent pas de pertinence. Un exemple : l’Australie et la Nouvelle-Zélande, lieux d’hivernage de certaines espèces qui survolent l’Asie, sont restées indemnes. De même au Nigeria, la contamination d’un important élevage industriel de volailles ne s’est pas accompagnée de la présence d’oiseaux sauvages porteurs du virus A(H5N1).
Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) a annoncé le 11 avril 2006 à Nairobi (Kenya) que la disparition progressive des zones humides naturelles pourrait contribuer à la propagation de l’épizootie. La réduction de ces habitats essentiels pour les oiseaux migrateurs sauvages les conduit à entrer fréquemment en contact avec les volailles domestiques dans les rizières ou les étangs de villages, augmentant de ce fait les risques de transmission du virus. Le PNUE recommande aussi de déplacer les élevages industriels avicoles en dehors des grandes voies de migration des oiseaux sauvages. Encore un exemple du lien étroit qui existe entre la santé humaine ou animale et l’environnement.
L’exemple récent du SRAS permet de visualiser la dynamique d’une épidémie. Bien que la contagiosité du SRAS soit plus faible que celle de la grippe ordinaire, environ 8500 cas ont été observés dans 32 pays, causant 916 décès (21% dans le personnel de santé). Une catastrophe sanitaire a été évitée de justesse, grâce à l’efficacité du réseau de surveillance de l’OMS. Contre cette infection pulmonaire, due à un coronavirus9, on ne dispose pas de traitement ni de vaccin disponible dans le commerce au début de 2006. Le réservoir du virus n’est pas parfaitement connu, bien que la civette puis la chauve-souris (rhinolophe) aient été citées. Le premier cas de SRAS est apparu en Chine, à proximité de Canton vers la mi-novembre 2002. Quelques mois plus tard, la maladie a gagné Hong Kong pour se répartir en divers endroits du monde (Hanoi, Toronto, Singapour,....), mettant à profit la rapidité des transports aériens. L’alerte mondiale était déclenchée par l’OMS le 12 mars 2003. Les moyens mis ensuite en oeuvre (mesures d’isolement des malades et restriction des voyages) pour éviter une pandémie de SRAS (qui peut toujours ressurgir), constituent une bonne répétition des mesures à prendre en cas d’émergence d’une pandémie de grippe résultant de l’apparition d’un virus recombinant. Mais dans ce dernier cas, ce pourrait être une toute autre affaire !
En théorie, il existe des moyens pour prévenir l’émergence d’une pandémie grippale humaine de type A(H5N1). La stratégie mise en oeuvre actuellement consiste en premier lieu à détruire la totalité des élevages dans lesquels des animaux atteints ont été observés afin d’éviter l’ « humanisation » du virus. Cette mesure étant associée à une désinfection totale des bâtiments et la mise en place d’une barrière sanitaire. Cette stratégie, lorsqu’elle est mise en oeuvre, se traduit localement par un désastre économique et alimentaire. Pour certaines populations vivant dans des conditions de grande précarité et à la limite de la sous-nutrition, la consommation de protéines de bonne qualité (oeufs et viande de volailles) est essentielle, notamment pour les enfants et adolescents. La tentation est grande de dissimuler une mortalité anormale dans un élevage d’animaux destinés à la vente ou même à la consommation familiale.
La vaccination des volailles est sujette à controverses entre experts en raison des résultats inconstants obtenus dans un passé récent. De plus, elle pourrait n’assurer qu’une protection clinique sans garantie sur l’aspect épidémiologique. En effet, selon certains auteurs, le vaccin n’empêcherait pas la circulation du virus et pourrait même favoriser son évolution. Cependant, une conférence internationale, à l’initiative de l’OMS, de l’OIE et de la FAO qui s’est tenue en juillet 2005, avec pour objectif de recommander des mesures à prendre pour prévenir la propagation du virus, a mis l’accent sur la nécessité d’élever séparément les différentes espèces animales (volailles et porcs notamment) et aussi d’entreprendre de vastes campagnes de vaccination des oiseaux d’élevage. A la suite d’une saisine des ministères chargés de la santé et de l’agriculture, l’AFSSA a rendu un avis le 16 février 2006 dans lequel elle recommandait le confinement des élevages et la vaccination des volailles lorsque le confinement n’est pas réalisable. Le 11 mai 2006, cette même agence a préconisé la levée des mesures de confinement des volailles partout en France sauf dans les Dombes (Ain).
L’éradication de la totalité des élevages contaminés risque de ne pas suffire à éviter à terme l’apparition d’un virus hautement contagieux pour l’Homme. Les mesures prises localement permettront tout au plus de gagner du temps et permettre aux chercheurs de perfectionner les moyens biologiques de lutte contre ce virus (antiviraux, vaccins, mesures sanitaires locales, vaccination contre le pneumocoque pour les populations à risque). Il faut savoir que pour fabriquer un vaccin, il faut avant tout isoler et identifier le virus contre lequel ce moyen de lutte sera dirigé. Il est possible de préparer dès maintenant une souche vaccinale prototype qui permettra de gagner un temps précieux en vue de l’obtention du vaccin pandémique. Tous les vaccins actuels contre la grippe sont produits par inoculation de virus sur oeufs embryonnés ; pour préparer le vaccin à grande échelle, il a été nécessaire de mettre au point une technique utilisant les outils de la biologie moléculaire, permettant la culture sur oeufs car le virus A(H5N1) les détruit. De même, rien ne prouve que ce virus tant redouté ne sera pas résistant aux antiviraux dont on dispose actuellement (zanamivir ou Relenza et oseltamivir ou Tamiflu).
L’émergence des virus pandémiques totalement nouveaux et parfaitement adaptés à l’homme en 1959 et 1968 s’est traduite par des infections de sévérité modérée. Il est permis d’espérer qu’il en sera de même pour la première pandémie grippale du XXIe siècle lorsque cette dernière apparaîtra. Ce qui vient tempérer cette note optimiste, c’est l’agressivité de la souche A(H5N1) qui, par ses caractéristiques biologiques (évoquées plus haut) et une mortalité supérieure à 50% chez l’homme, la rend comparable à la souche A(H1N1) de 1918-1919. Les connaissances scientifiques actuelles ne permettent pas de prévoir si l’adaptation à l’homme du virus aviaire aurait pour conséquence une atténuation de sa virulence.
L’émergence à grande échelle du SIDA s’est effectuée à la fin de 1980 et le VIH-1 identifié en 1983. Les premiers cas de SRAS connus remontent à la mi-novembre 2002 et le coronavirus qui en est responsable a été isolé et identifié quelques mois plus tard. Dans le cas de la grippe « aviaire », les scientifiques, médecins et experts sont prêts à y faire face alors que le virus pandémique n’a pas encore montré le bout de son nez. Autrement dit, on redoute une pandémie grippale dont on soupçonne le responsable mais dont le code barre de sa carte d’identité comporte des inconnues. Encore faudrait-il vouloir et pouvoir produire un vaccin efficace pour plus de six milliards d’humains sachant que le virus A(H5N1) détruit les volailles qui produisent les oeufs servant à la préparation du vaccin.
Comme il faudra plusieurs mois entre l’éventuelle émergence du virus humain hautement contagieux et l’obtention à grande échelle d’un vaccin efficace, il sera urgent de prendre des mesures de protection des populations. Des mesures draconiennes et impopulaires à n’en pas douter basées sur l’isolement des personnes contaminées ainsi que de leur entourage. Mesures qu’il sera difficile mais impératif d’expliquer. Devant le risque de transmission, chacun devra éviter de se rendre dans des lieux rassemblant un nombre élevé de personnes sans porter un masque efficace (FFP2) aussi longtemps que le risque de contagion existera. Les conséquences sociales pourraient être considérables : fermeture des frontières, fermeture des crèches, écoles, universités, lieux de culte, salles de spectacles ; interdiction des rencontres sportives et autres rassemblements de personnes dans des espaces clos. Les transports en commun seraient inutilisables, ce qui implique que dans les villes où la circulation des automobiles particulières a été drastiquement entravée, le problème des transports individuels se posera. Le maintien des malades à domicile sera inévitable en raison du nombre limité des lits d’hôpitaux. L’hôpital public pourrait-il d’ailleurs faire face à un afflux massif de patients qu’il serait impossible de maintenir à leur domicile? Mais le pire n’est jamais certain.
Tous les pays frappés par la pandémie, si celle-ci est hautement agressive, seront confrontés à de multiples difficultés en raison du nombre de personnes malades ou indisponibles. Il sera bien évidemment nécessaire d’organiser la continuité des états ainsi que de la vie sociale et économique dans un contexte dégradé. Par exemple, les soins aux personnes, l’approvisionnement indispensable ou l’ordre public devront être assurés pendant toute la phase aiguë de la vague épidémique. Le comportement des populations sera la grande inconnue devant une telle situation de crise où la solidarité devra jouer un rôle fondamental. La mise en œuvre de tous les moyens appropriés pour réduire le nombre de personnes malades au même moment permettra de limiter les conséquences socio-économiques de la pandémie dans les pays concernés. Le rôle de l’OMS sera primordial pour coordonner les différentes actions au niveau international.
On peut saluer en France, l’existence d’un plan gouvernemental de lutte contre la pandémie grippale d'origine aviaire (consultable sur Internet) et les mesures qui ont été prises (achat massif d’antiviraux et de masques). Le fait que les politiques français aient communiqué sur ce sujet est assez inhabituel en présence d’un dossier sanitaire difficile. L’information du public a eu pour conséquence la réduction de la consommation de volailles, réaction totalement irrationnelle. Il faut aussi noter que la France dispose d’un potentiel considérable de production de vaccins (Aventis-Pasteur), dont plus de la moitié est exportée. Le gouvernement français a déjà réservé 20 millions de doses du vaccin pandémique lorsque celui-ci sera produit.
Mais revenons sur le cas du SRAS. Entre les premiers cas décelés en automne 2002 près de Canton et l’alerte lancée au printemps 2003 par l’OMS, plusieurs mois se sont écoulés sans que les autorités chinoises aient réagi. Il est vrai que les symptômes respiratoires observés n’orientaient pas vers un agent causal précis. Si ce dernier avait été aussi transmissible que le virus de la grippe, les quelques mois de répit qui lui ont été involontairement accordés pour s’implanter dans la population chinoise auraient permis à une pandémie extrêmement meurtrière de se développer. On a donc bien frisé la catastrophe.
Une pandémie grippale dramatique serait-elle inéluctable ? Personne n’est en mesure d’affirmer si et quand elle apparaîtra et avec quel degré de gravité, en raison du caractère imprévisible du virus. Son ampleur pourrait cependant être réduite si des mesures strictes étaient prises au niveau international, et notamment dans les pays asiatiques, là où sa probabilité d’émergence est la plus élevée. Certains de ces pays possèdent des infrastructures très fragiles en matière sanitaire. Si un virus grippal nouveau devait apparaître, le moindre retard pour alerter les autorités sanitaires et prendre les mesures appropriées pour contenir l’épidémie dans sa région d’émergence pourrait avoir des conséquences dramatiques pour l’ensemble de l’humanité. Chaque minute comptera. Double.
Pour France Ecologie Claude CHAMPREDON - mai 2006.
Documents et principaux sites consultés.
La guerre contre les virus. Jean-François SALUZZO. Ed. Plon. 2002.
Des hommes et des germes. Jean-François SALUZZO. Ed. Presses Universitaires de France 2004.
Le mystère des épidémies. Dr François RODHAIN & Dr Jean-François SALUZZO. Ed. Pasteur 2005.
Pandémie – La grande menace. Prof. Jean-Philippe DERENNE & Prof François BRICAIRE. Ed. Fayard 2005.
Grippe aviaire - Sommes-nous prêts ?. Jean-François SALUZZO & et Catherine LACROIX-GERDIL. Préface de Didier HOUSSIN. Ed Belin ? Pour la Science 2005.
Quid 2006.
Science et Vie. Hors série n°193. 1995.
Science et Vie n°1049. 2005.
Science Revue. n°25. 2006.
La Recherche n°385. 2005.
La Recherche n° 393. 2006.
INRA mensuel n°123. Les zoonoses. 2005.
Encyclopaedia Universalis v11. 2006.
Plan gouvernemental de prévention et de lutte « pandémie grippale » 06 janvier 2006 :
http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/grippe_pandemie/planpandemiegrippale_janvier06.pdf
Institut de veille sanitaire (InVS) :
http://www.invs.sante.fr/surveillance/grippe_aviaire/
Organisation Mondiale de la Santé :
http://www.who.int/csr/disease/avian_influenza/en/index.html
Institut Pasteur :
http://www.pasteur.fr/actu/presse/documentation/grippe-aviaire.html
Agence française de sécurité sanitaire des aliments :
http://www.afssa.fr/
Organisation mondiale de la santé animale :
http://www.oie.int/eng/en_index.htm
L’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture :
http://www.fao.org/ag/againfo/subjects/en/health/diseases-cards/avian.html
Rapport parlementaire. Tome I : Menace de pandémie grippale : préparer les moyens médicaux. 13 avril 2006 :
http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i2833-tI.asp
Rapport parlementaire. Tome II : Le H5N1 : une menace durable pour la santé animale. 13 avril 2006 :
http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i2833-tII.asp
_______________________________
1 Version actualisée (mai 2006) d’une première rédaction terminée en décembre 2005.
2 Constitué d’ADN ou d’ARN, il contient toute l’information nécessaire à la construction et au fonctionnement d’un être vivant.
3 Acide ribonucléique. Les ARN copient l’information génétique et la traduisent en protéines. Chez certains virus (grippe, ...) l’ARN est à la fois support de l’information génétique et le messager de cette information dans les cellules de l’hôte.
4 Ce groupe comprend essentiellement les virus des différentes grippes.
5 Acide désoxyribonucléique. C’est le support de l’information génétique.
6 Protéine de surface qui permet au virus de se fixer sur les cellules qu’il infecte. Elle est le principal antigène reconnu par le système immunitaire.
7 Protéine de surface qui favorise la diffusion des particules virales dans l’organisme infecté. Les médicaments utilisés contre les virus de la grippe sont des inhibiteurs de l’action de cette protéine.
8 Caractère épidémique d’une maladie concernant une ou plusieurs espèces d'animaux et qui sévit de manière constante dans une zone géographique précise.
9 Les Coronavirus (en forme de couronne) sont des virus à ARN qui infectent les oiseaux et beaucoup de mammifères, y compris les humains. Ils sont surtout responsables de pathologies respiratoires ou digestives.